Depuis le 8 juillet, la Haute-Corse est placée en vigilance sécheresse en raison d’une « aridité estivale précoce ». Sols asséchés, précipitations très faibles, températures en hausse… Une situation qui pourrait devenir la normale
Dans la région bastiaise, quelques orages ont apporté 12 mm d’eau mais cela n’a pas suffi à combler le déficit du printemps et du début d’été. Et surtout, ces orages arrivés dans une atmosphère chaude ont vu leurs gouttes s’évaporer… comme neige au soleil.
Une situation « d’aridité estivale précoce » a poussé la préfecture de Haute-Corse à placer toutes les communes du département en vigilance sécheresse dès le 8 juillet. Des mesures de restriction d’usage de l’eau ont été mises en place afin d’éviter le pire : la pénurie. Car, cette année, la sécheresse a commencé tôt et nul ne peut prédire quand elle se finira.
« Statistiquement, la Corse connaît toujours une aridité estivale mais l’effet direct du changement climatique est que cette aridité débute plus tôt et dure plus longtemps », explique Patrick Rebillout, directeur du centre Météo France d’Ajaccio. « Les prévisions de climat à trois mois vont plutôt vers un climat plus sec et plus chaud que la normale », ajoute-t-il, douchant les espoirs de pluies salvatrices.
En juin, des précipitations égales à 30 % des normales saisonnières
Malgré une saison de recharge des stocks d’eau plutôt satisfaisante, avec des précipitations de septembre 2020 à mars 2021 dans les normales de saison, le printemps a commencé à empiéter sur les stocks : de mars à mai, les précipitations ont représenté 70 % du volume normal. « Les précipitations qui ont eu lieu en mai ont été peu efficaces car elles sont arrivées dans des températures déjà élevées », note le météorologiste.
La fonte des neiges, tombées en abondance durant l’hiver, a rempli les cours d’eau et les barrages, mais le mois de juin a été un coup dur pour les sols : « En juin, nous avons eu 11 mm d’eau en moyenne sur la Corse, soit à peine 30 % de la normale », ajoute Patrick Rebillout.
Résultat : des indices d’humidité des sols inférieurs de 50 % aux normales saisonnières sur le littoral et de 20 % sur le relief. Même la Castagniccia, château d’eau de la Corse, a vu ses cours d’eau s’assécher : la microrégion est classée, au même titre que le Cap Corse, en situation de sécheresse agricole extrême. Pour certains fleuves, le constat est dramatique : le Bevinco connaît un niveau de bas étiage, c’est-à-dire une période de basses eaux, que l’on n’observe que tous les 20 ans en moyenne.
Restrictions sur l’usage de l’eau en Haute-Corse
Quelque 130 communes de Haute-Corse sont concernées. Le comité départemental de suivi « sécheresse », composé de plusieurs entités*, s’est réuni en préfecture de Bastia le 16 juillet pour examiner la situation hydrologique des rivières et des nappes d’eau souterraines ainsi que le niveau des stocks dans les réservoirs d’eau brute.
À l’issue de cette réunion, il a été décidé de maintenir le département de la Haute-Corse en vigilance sécheresse, mais aussi de limiter les usages de l’eau dans les unités hydrographiques de la Plaine orientale, du Cap Corse, du Nebbiu et du Grand Bastia.
Y sont donc interdits entre 9 heures et 19 heures : le lavage des véhicules en dehors des stations professionnelles équipées d’économiseurs d’eau ; le remplissage des piscines privées à usage familial après vidange, ainsi que les remplissages de complément ; le lavage des bateaux, à l’exception des bateaux professionnels soumis à impératifs sanitaires ou techniques ; l’arrosage des pelouses, espaces verts publics et privés, jardins d’agrément ; le lavage ou l’arrosage des terrasses et voies de circulation privées ; l’arrosage des terrains de sport, de golf et jardins publics ; le lavage des voies de circulation publiques.
La préfecture de Haute-Corse précise que ces mesures, qui pourront être réajustées en fonction de l’évolution de la situation, ont pour objectif de réduire les prélèvements dans les cours d’eau et les réservoirs et d’épargner la ressource en prévision d’une situation qui pourrait s’aggraver sur certaines parties du département.
Elle ajoute que, en cas de difficultés locales d’alimentation en eau potable, les maires conservent également la possibilité, s’ils le jugent nécessaire, de prendre des mesures plus restrictives. Chacun est invité à être vigilant et à faire preuve de civisme en ayant une gestion économe de la ressource en eau.
Éviter les bactéries et les inondations à l’automne
Face aux effets tangibles du changement climatique, la Corse doit s’adapter. Et pour cela, stocker plus d’eau.
Alors que la Sardaigne parvient à avoir 1,8 milliard de mètres cubes d’eau en réserve, la Corse ne stocke que 120 millions de mètres cubes. « Ici, on gère la misère, souffle Henri Politi. Dans le sud-est de la France, avec les mêmes contraintes climatiques, voire moins de précipitations par endroits, et les mêmes variations de population entre l’hiver et l’été, ils parviennent à n’utiliser que 50 % de leurs stocks d’eau. Nous, chaque année, nous utilisons 100 % de ce que nous stockons. Avec le changement climatique, qui provoque une baisse de la ressource en eau, et l’évolution générale des besoins liée à la démographie de l’île et à la superficie agricole irriguée, il faudrait a minima doubler la capacité de stockage d’eau en Corse. »
Pour l’hydrobiologiste Antoine Orsini, il ne faut pas non plus perdre de vue la qualité de l’eau stockée : « Les grands barrages, lorsqu’ils sont soumis à de fortes chaleurs, peuvent connaître des phénomènes de bloom de cyanobactéries, qui rendent l’eau impropre à toute utilisation. » Le lac de Codole, en Balagne, a déjà connu l’apparition de ces algues vertes qui peuvent être toxiques pour l’homme et les animaux. « Je suis plutôt favorable à des petites retenues collinaires sur chaque bassin-versant, et même micro-bassin versant, qui nuisent beaucoup moins aux écosystèmes », ajoute Antoine Orsini.